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lundi 20 novembre 2017

Ligue islamique mondiale par Jean CORCOS


LIGUE ISLAMIQUE MONDIALE : PERESTROÏKA OU CONTINUITÉ ?

Par Jean CORCOS

Jean Corcos est le troisième à droite sur la photo
            
          J’ai eu la chance d’assister à une conférence – donnée devant un auditoire restreint – du nouveau Secrétaire Général de la Ligue Islamique Mondiale, le Docteur Mohammad bin Abdul Karim Al Issa, ancien ministre de la Justice d’Arabie Saoudite. La réunion s’est tenue dans la salle du Conseil d’Administration de l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI), à une date plus que symbolique puisque c’était le 13 novembre, anniversaire du massacre terroriste de 2015 commandité par le Daesh.



Mohammad bin Abdul Karim Al Issa

            Quand on sait le lien communément fait entre l’idéologie djihadiste et la doctrine wahhabite du Royaume, quand on a aussi à l’esprit les accusations de financement du terrorisme par des grandes fortunes du Golfe, en Arabie en particulier, on pouvait se demander si le public choisi allait assister à un numéro de «langue de bois», avec la complicité polie du public convié. Soyons clair : il n’en a rien été, l’hôte de l’IFRI ayant volontairement choisi d’axer son exposé sur le terrorisme islamiste – même si le terme reste tabou, dans ses propos comme il le reste d’ailleurs dans l’ensemble du monde arabe.
            Plantons le décor de cette conférence. D’abord, la tournée du conférencier a été fortement médiatisée, c’est ainsi qu’il a été reçu par le Pape François, et à Paris à la Cathédrale Notre-Dame ; notre réunion a été abondamment filmée et photographiée, et elle est déjà diffusée sur le site de la Ligue Islamique Mondiale [1]. Ensuite, elle intervenait quelques jours après la grande purge imposée par Mohammed Ben Salman, prince héritier et fils du roi Salman. Cette purge s’est traduite par l’arrestation et la confiscation des biens de centaines de princes et personnalités haut placées du Royaume. Elle suivait, aussi, des déclarations courageuses du prince héritier, disant souhaiter transformer le pays en le modernisant, donc en s’attaquant de front au rigorisme religieux qui était la marque de l’islam saoudien.
Mohammad bin Abdul Karim Al Issa avec le Pape

            Clairement, Mohammad bin Abdul Karim Al Issa, nommé il y a quelques mois seulement, fait partie du nouveau clan au pouvoir. Enfin, la Ligue Islamique Mondiale [2] a été un vecteur essentiel de l’islam rigoriste wahhabite, qui s’est répandu à travers le monde à coup de milliards de dollars : va-t-elle changer elle aussi ? Ou n’est-ce qu’un numéro de relation publique ? Voici les propos que j’ai pu noter, ainsi que les réponses qu’il a données, sachant que dans l’assistance se trouvaient des personnalités connues qui ont pu l’interroger. Précisons pour finir qu’il s’est exprimé uniquement en arabe, avec traduction en différé par un interprète.
            Le Secrétaire Général de la Ligue a présenté son organisation comme «représentant tous les peuples musulmans du monde» ; ses objectifs sont, selon lui, «de lutter contre la pensée extrémiste et terroriste», en développant «la coexistence pacifique avec les autres religions monothéistes, Judaïsme et Christianisme». Il a évoqué les contacts internationaux et grandes conférences où la Ligue a été moteur, comme à New-York il a quelques semaines, en marge de l’Assemblée Générale de l’ONU.
            Alors que l’on accuse cette organisation d’avoir fait, à la fois la promotion de la doctrine wahhabite et – parce qu’elle est basée à La Mecque – des intérêts de l’Arabie Saoudite, pour le conférencier «elle n’a pas d’agenda en faveur d’une école religieuse musulmane au détriment des autres». J’ai relevé son mutisme concernant deux acteurs essentiels de l’islamisme radical, le Qatar – avec qui tous les liens avec son pays ont été rompus il y a quelques mois – et les Frères Musulmans, déclarés hors la loi dans le Royaume depuis 2014. Or, Samir Amghar avait publié un article il y a quelques années [3] : «Les politiques et les activités menées par la Ligue sont fortement influencées par l’idéologie des Frères musulmans». La situation a-t-elle maintenant changé ? Sont-ils exclus des fonctions dirigeantes dans cette organisation ?
            Dans le tableau des djihadistes fait par Mohammad bin Abdul Karim Al Issa, les volontaires venus de l’étranger et en particulier d’Europe ont une place dominante, comme s’il n’y avait pas eu, de la Syrie à l’Irak en passant par le Yémen, des dizaines de milliers de vocations locales. Pour lui, l’embrigadement constaté dans les pays occidentaux s’explique par «le manque d’intégration dans leurs sociétés», «la pauvreté», «la propagande du Daesh» ; «l’islamophobie a contribué à la radicalisation». Pour lui enfin, «l’extrémisme n’appartient pas à une école religieuse particulière», et à l’appui de ses propos il note que les djihadistes venus se battre au Moyen-Orient, ou ailleurs, venaient de 101 pays différents.
            Le conférencier a tenu des propos par moment positifs, et parfois moins. Ainsi il y a des objectifs que l’on ne peut que partager : que les minorités respectent les lois et les religions de leurs pays d’accueil ; que l’on surveille davantage Internet où la propagande djihadiste se répand «sans visas». Il a aussi dit – propos courageux, tant la langue de bois a été de mise, y compris parmi les responsables des institutions musulmanes en France - «Seule la confrontation idéologique nous permettra de gagner». C’est donc bien un conflit à l’intérieur de l’islam et qui concerne cette religion, et non une affaire de «loups solitaires» ou de «déséquilibrés» comme on l’a ressassé trop longtemps. Par contre, on peut ne pas partager sa surestimation du rôle de l’islamophobie : certes, des jeunes musulmans peuvent basculer par sentiment de rejet et manque de culture, mais l’échec de leur intégration n’est pas seulement dû à «une vague d’hostilité» : la peur de l’islam, traduction littérale de l’islamophobie, vient aussi des attentats.
Dorothée Schmid

            Interrogé par Dorothée Schmid, responsable à l’IFRI du programme Turquie Moyen-Orient, il a présenté «ses alliés» dans la «lutte idéologique». D’abord, deux entités saoudiennes, «Le centre international de lutte contre la pensée extrémiste», et «Le centre de la guerre idéologique». Il a souligné l’importance des contacts avec les responsables politiques dans les pays étrangers «pour connaitre l’état d’esprit des minorités musulmanes».
Bertrand Besancenot

            Bertrand Besancenot, conseiller diplomatique du gouvernement et ancien ambassadeur à Ryad, a eu des questions directes, en soulignant les trois préoccupations légitimes du public en France : financement privé du terrorisme ; rôle des médias qui propagent un islam radical ; formation, y compris en Arabie, d’imams qui diffusent chez nous une version extrémiste de leur religion. Sur le financement, le conférencier a simplement dit «on a pris des mesures» et «Daesh a beaucoup de mal maintenant à trouver de l’argent» ; la preuve, selon lui, est le recours maintenant au «terrorisme low cost », au couteau, à la voiture bélier, etc. Il a loué la coopération avec les Etats-Unis dans ce domaine. A propos des télévisions du Golfe – l’Arabie et d’autres pays sont bien concernés par leur diffusion planétaire – il a souligné la différence à faire, à son avis, entre les «conservateurs virulents» et les «terroristes». Ceci étant, il a affirmé que la Ligue cherchait à propager «une pensée modérée», donc non «virulente» : remarquons que personne n’a évoqué dans la salle la chaîne Al-Jazeera, pourtant interdite dans son pays. Aucune réponse, non plus, sur la formation des imams.
Georges Malbrunot

            Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro, a cité le discours du prince Bin Salman, qui a dit de manière remarquée le 24 octobre : «70 % de la population saoudienne a moins de 30 ans et, franchement, nous n’allons pas passer 30 ans de plus à nous accommoder d’idées extrémistes et nous allons les détruire maintenant et tout de suite» [4]. «Quels sont les chantiers qui sont les vôtres ? Cela concerne-t-il aussi les livres scolaires ?» Pour Mohammad bin Abdul Karim Al Issa, «les moyens de propager une pensée modérée concernent tout le monde : la famille ; l’école ; la société civile» ; «Il faudra prendre des décisions claires», et «on n’attendra pas que tout le monde soit convaincu».
            Ancien ministre des Affaires Etrangères et également présent dans le public, Hervé de Charrette a demandé alors : «Que signifie une vision modérée de l’islam : est-ce qu’il s’agit de théologie ? D’organisation de la société ? De relations internationales ?». En réponse, le conférencier a dit qu’il fallait prendre les textes sacrés de sa religion sans en faire «des interprétations politiques». Pour lui, «l’islam modéré prône des valeurs morales, qui doivent être universelles ; il faut accepter la diversité, et des points de vue différents ; il faut promouvoir des valeurs d’entraide au-delà des races et des religions».

Marc Hecker

            Marc Hecker, chercheur à l’IFRI et directeur de ses publications a demandé : "Comment définissez-vous l'islamophobie ? Est-ce le fait de commettre des actes anti musulmans, ou l’application des lois de la laïcité ? » Réponse très claire, : «C’est le fait de refuser la présence de la religion musulmane dans la société, mais la laïcité ne s’oppose pas cette présence». Une position, donc, en décalage avec le discours pernicieux des organisations proches des Frères Musulmans comme le CCIF. Par contre, le conférencier n’a pas voulu associer le salafisme – très présent dans son pays - et l’idéologie du Daesh ; pour lui, les terroristes viennent d’écoles de pensée très différente.
            Enfin le mot de la fin prononcé par le Secrétaire Général de la Ligue m’a bien plu : intervenant une dernière fois, Georges Malbrunot lui a demandé si les propos d’un ex-Président de la République – qu’il n’a pas nommé - «On a un problème avec l’islam» étaient islamophobes, il a répondu de façon lapidaire «Oui». En ajoutant, de façon inattendue : «Comme le fait de nier la Shoah, c’est de l’antisémitisme».

[1]        : http://www.themwl.org/global/fr
[2]        : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ligue_islamique_mondiale
[3]        : https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2011-2-page-113.htm
[4] :https://www.la-croix.com/Religion/Islam/Le-prince-heritier-dArabie-saoudite-veut-retourner-islam-modere-2017-10-25-1200887088



1 commentaire:

yvets a dit…

DIRE "on a un probleme avec islam" n'a rien à voir avec la négation de la shoah
deux choses ordre different