«Je viens de lire, s’exclama son copain, grand échalas aux grands bras à moulinettes, un truc ahurissant. C’est le monde à l’envers ! Le rétropédalage américain !». S’ensuivit, en rafale, l’énoncé d’une cascade d’exemples, illustratifs du phénomène paradoxal justificatif de cet ahurissement spectaculaire.
Eux, ces Américains
nomades, qui traversaient les États-Unis pour changer de job, ils deviennent
sédentaires. Les migrations entre États se sont réduites de moitié. Vous vous
rendez compte ! Les chefs d’entreprises de moins de 30 ans, depuis les
années 90, ont diminué des deux tiers. La crise d’entreprenariat, aux
States ! La découverte de l’Ouest, les cow-boys, les découvreurs, c’est
fini ! Les Américains, ils deviennent pépères, ils veulent maintenant la
tranquillité.
En fait de
disruption, c’est la stabilisation, le roupillon ! Ils sortent de moins en
moins de chez eux. Les classes moyennes, ébranlées par la crise financière,
secouées par la révolution numérique, recherchent la sécurité, les pauvres ne
cherchent eux, actuellement, même plus à se révolter, il n’y a même plus
d’émeutes. Et par-dessus le marché, leur culture historique de liberté est
étouffée par leur aliénation à l’écran. Depuis celui de leur smartphone, à
celui de leur ordinateur ou de leur télé !
Fouetté par
l’énergie de cet étonnement éruptif, Jonathan se laissa aller à la découverte
d’autres paradoxes contemporains. C’est vrai qu’en face du nouvel immobilisme
américain et de sa tentation récente du repli sur soi, la Chine hisse le
drapeau du mouvement, d’un leadership rénové. Jusqu’à ressusciter une forme
modernisée de la route de la soie. Le Brexit, la victoire surprise de Trump, la
montée impressionnante des extrêmes confirmée par l’élection présidentielle
française après l’extension des nationalismes en Europe de l’Est, oppose aux
bienfaits de la mondialisation, la détresse de ses oubliés, de la masse de ceux
qui en sont les victimes.
L’irrésistible
envahissement de l’univers numérique, d’internet, de l’intelligence
artificielle, invente un nouveau monde qui envoie le vieux aux calendes.
Amazon, Google, Apple, chassent de plus en plus clairement sur le territoire de
l’industrie automobile, de Renault à Volkswagen, Ford ou Toyota. Avec le paradoxe du paradoxe qui fait que cet
univers hightech crée lui-même son propre ennemi. Les cyber attaques
mondialisées se révèlent capables de bloquer les applications d’un progrès qui
les a elles-mêmes rendues possibles. Et puis, la restauration du passé vient se
heurter au culte du futur. Daech brandit une copie de califat en opposition à
une modernité renégate. Erdogan en Turquie revigore un islamisme dur et impose
l’étouffement des libertés dans l’ambition de faire revivre une splendeur impériale
dominatrice. Poutine, nouvel empereur, ambitionne de faire oublier à la Russie
actuelle la dégradation de sa réalité économique et sociale, sous le fantasme
du rempart d’une civilisation à part, vraie héritière des valeurs de l’Europe
ancienne.
Cependant, ce choc
des contraires simultanés, se dit-il, n’est que le reflet d’un monde qui vit.
Avec ses morts et ses naissances. Ce qui fait qu’en somme, la somme n’est
jamais nulle. Mais toujours positive. Je vais lui dire, à cet escogriffe. Le
paradoxe, c’est la vie. Il suffit de regarder dans les deux réalités que je
fréquente. Sésame, un accélérateur de particules, espèce de producteur géant de
rayon X, vient d’être inauguré en Jordanie. Il rassemble des scientifiques de
tout le Moyen-Orient. De Chypre, Égypte, Jordanie, Turquie, Pakistan, des
territoires Palestiniens, d’Iran. Et d’Israël. C’est-à-dire qu’une coopération
régionale vient transcender une situation politique en totale sclérose et
l’enracinement d’antagonismes nationaux.
La France, ce pays
réputé en déliquescence, est devenu en quelques années le premier pays européen
en termes de création de start-up. Et
dans un délai encore plus définitivement court, il vient de renouveler une
classe politique pourtant agrippée aux manettes du pouvoir, devenue sans s’en
rendre compte complètement caduque. Remplacée en un tour de main et deux tours
d’élection par une génération quasi spontanée.
Il rejoignit son
ami, dont les grandes enjambées l’avaient distancé. Qui s’empressa aussitôt de
lui expliquer, à coup d’exclamations, de gestes hélicoïdaux accélérés, qu’en
dépit de son assoupissement actuel, l’Amérique restait pour lui, le seul grand
moteur de l’évolution humaine.
«Tu es
bien un paradoxe à toi tout seul» glissa Jonathan, entre deux
moulinettes de bras.
2 commentaires:
31 mai Claude Meillet le paradoxe.
Sauf qu'aux USA les instances nationales sont très vigilantes sur l'abus de pouvoir que pourrait exercer Trump, y compris dans son propre camps. Comme cette loi qu'il instaura interdisant l'entrée sur le territoire américain des ressortissants de six pays arabes. En quelques jours deux juges fédéraux y ont mis un terme.
Pour comparer ce qui est comparable entre deux démocraties, la polémique de l'affaire Ferrand qui anime en France le débat du moment résiste à toutes pressions et surtout à la justice qui est loin du zèle qu'elle a manifesté lors de l'affaire Fillon.
Il serait bon de jeter un œil de l'autre côté de l'Atlantique pour prendre exemple sur l'indépendance qui y règne face au pouvoir.
Le paradoxe serait de le nier.
Bien cordialement
Bien vu, bien dit.....et redit
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