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jeudi 26 janvier 2017

Kol-Israël : La révolte des Bédouins du Néguev



Radio Kol-Israël

LA RÉVOLTE DES BÉDOUINS DU NÉGUEV

Jacques BENILLOUCHE
au micro de 
Annie GABBAI

            
Bédouins à la fête de l'indépendance avec leurs chameaux

          Dans un article du 26 octobre 2016, suite à ma visite dans la région, j’avais anticipé sur Slate.fr [1] les risques que faisait courir une situation explosive chez les Bédouins du Néguev. Cela paraissait évident à tous ceux qui traversaient la région parce qu’Israël avait déjà expérimenté la question de la mauvaise intégration de ces populations arabes. Le drame des Bédouins du Néguev, qui disposent pourtant de la nationalité israélienne depuis la création de l’État en 1948, pourrait préfigurer le sort qui sera fait aux populations palestiniennes, lors d’une éventuelle annexion dans le cadre d'un État binational.


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manifestation de Bédouins

            La révolte des Bédouins du Néguev a surpris parce qu’il s’agit d'une part de tribus arabes nomades pastorales pacifiques et d’autre part, de populations très impliquées dans la vie israélienne et dans l’histoire du pays. Depuis la fin de l'empire ottoman, les Bédouins partiellement sédentarisés vivent de l'élevage du bétail dans les zones désertiques du Néguev.

            Les tribus bédouines se subdivisent en trois catégories : les descendants des nomades arabes originaires principalement de l'Arabie saoudite, les descendants des tribus bédouines du Sinaï et les paysans palestiniens venus des zones cultivées. Depuis la création de l’État d’Israël, une partie s’est installée dans les pays voisins tandis qu’un processus de sédentarisation a été imposé à ceux qui étaient restés en Israël.
            La population bédouine du Néguev est évaluée à 210.000 personnes. Entre 1968 et 1989, Israël a construit sept villages qui leur étaient réservés. Plus de la moitié des Bédouins s’y est installée. Les autres, évalués à 90.000, sont restés dans 46 villages, dont le village d’Um Al-Hiran, non reconnus par le gouvernement sous le prétexte qu’ils ont été construits sans planification et sans raccord à l’électricité ni à l’eau courante. Israël a pris des mesures pour les Bédouins du Néguev de façon à ce qu’ils puissent bénéficier de services publics, de services de santé, de transports publics, d’accès à l’eau et à l’électricité et de services éducatifs. Mais il menace de détruire ces villages illégaux en installant les habitants dans des cités nouvelles dotées d'une solide infrastructure.
            Cette évolution dans le nomadisme pastoral a poussé les Bédouins à se qualifier «d’Arabes du Néguev». Ils sont en majorité sédentarisés dans une région qui représente 60% de la surface de l’État d’Israël mais qui n’abrite que 8% de la population. Ils sont actuellement en situation conflictuelle avec le gouvernement car une grande partie d’entre eux refuse de se sédentariser et d’abandonner leur structure en tribus disposant chacune de son propre territoire dans le désert.
Libération du Sheikh par les Israéliens

            Quoique Arabes, les Bédouins forment une société distincte du monde arabe et ont toujours été très proches des Israéliens au point d’ailleurs de les avoir aidés lors des combats de la guerre d’indépendance de 1947. En 1946, le chef de la tribu Abu Yusuf al-Heib avait envoyé plus de 60 de ses hommes pour combattre aux côtés des forces israéliennes contre leurs voisins arabes en Galilée.
            Les troupes égyptiennes avaient poussés les Bédouins dans les bras des Israéliens après avoir commis l’erreur en 1947 de mener une politique répressive contre ceux qui campaient près de Beersheba parce qu’ils les soupçonnaient de fournir un soutien militaire aux Israéliens. Ils les avaient enfermés dans des camps qui n’ont été libérés par Tsahal qu’en octobre 1948. Ce fut ainsi le cas du Sheikh de la tribu d’El Abu Agheila. Par reconnaissance, des jeunes bédouins s’étaient alors engagés dans les forces de défense israélienne dès 1949.  Depuis, ils ont participé à toutes les fêtes de l’indépendance israélienne, juchés sur leurs chameaux. Certains ont d’ailleurs reçu la plus haute médaille de Tsahal, l’Ordre de la Distinction, à l’instar du lieutenant-colonel bédouin Abed El Amin Hajer (connu sous le pseudonyme Amos Yarkoni). De nombreux soldats ont également reçu des distinctions pour leur participation à l’opération «Plomb durci» à Gaza.
Bédouins et leurs soldats

            Les Bédouins servent dans l’armée en tant que traqueurs le long des frontières ou au sein d’une unité spéciale faisant partie du 585ème bataillon, la Brigade de Reconnaissance du Désert. Au moins 180 Bédouins sont tombés au champ d’honneur dans les différentes guerres israéliennes. Par leur connaissance de l’arabe, les Bédouins participent à des missions spéciales et en tant que pisteurs, à la fois dans le sud du pays mais aussi en Cisjordanie.
Bédouins dans Tsahal

            Leur motivation de servir dans l’armée est certes nationaliste mais aussi sociale car l’accomplissement du service militaire leur donne accès à tous les emplois en Israël, en particulier dans les industries liées à la sécurité du pays pour lesquelles le service militaire est un préalable. L’intégration des Bédouins dans l'armée et la société israélienne est la preuve de la possibilité d'une coexistence judéo- musulmane, qui «pourrait servir d'exemple de la façon de résoudre l'ensemble du conflit judéo-arabe».
            Les gouvernements israéliens successifs, ont appliqué des mesures pour forcer 70.000 d’entre eux à quitter 45 villages qu’Israël refuse de reconnaître.  Ces «villages non-reconnus» créent un malaise qui n’arrive pas à s’estomper parce que le but final des autorités consistait, bien sûr, à allouer les terres arabes libérées à des fermiers juifs. La situation est toujours conflictuelle entre les autorités israéliennes et la population bédouine, et des incidents se déroulent de manière récurrente, à l’instar de celui d’Um al-Hiran qui a eu lieu le 18 janvier parce que la tension a atteint son paroxysme.
Démolitions à Um el Hiran

            Cette stratégie n’est pas nouvelle, elle était même officielle puisque Moshe Dayan, l’avait détaillée dans une interview dans Haaretz le 31 juillet 1963 : «Nous devrions transformer les Bédouins en prolétariat urbain dans l'industrie, les services, la construction et l'agriculture. Quatre-vingt pour cent de la population israélienne ne sont pas des fermiers ; que les Bédouins soient comme eux. Cela sera un changement radical, qui signifie que les Bédouins ne vivraient pas sur leur terre avec leurs troupeaux, mais deviendraient des habitants des villes qui rentrent chez eux le soir et mettent leurs pantoufles… Les enfants iraient à l'école, les cheveux correctement peignés. Ceci serait une révolution, et elle peut être accomplie en deux générations. Sans coercition mais avec une direction claire... Le phénomène bédouin disparaîtra».
            C’est ainsi que les Bédouins d'al-Naqab ont vu leurs terres confisquées. Le gouvernement israélien avait usé de méthodes coercitives dans les années 1960/70 en créant sept villages, sans consulter les Bédouins qui furent forcés de s’y installer. Les autorités israéliennes justifiaient leur politique par une meilleur planification et une meilleure répartition des ressources. Malgré cette volonté de planification, les Juifs n’ont jamais été pressés de s’installer au Néguev, aujourd’hui encore vide. Or, avec un taux de fécondité de 5%, la population bédouine atteindra 320.000 personnes en 2020.
Ben Gourion à Sdé Boker

            Il est vrai que le leader historique d’Israël avait voulu donner l’exemple en s’installant lui-même en plein milieu du désert, à Sde Boker, mais il avait été peu suivi tandis que les pionniers juifs d’aujourd’hui préfèrent la Cisjordanie, une terre plus imprégnée d’Histoire biblique. Il avait pourtant donné le ton très tôt. David Ben Gourion avait écrit à son fils Amos le 5 octobre 1937 : «La terre du Néguev est réservée aux citoyens juifs, quand et où ils le veulent… Nous devons chasser les Arabes et prendre leur place… et si nous devons utiliser la force, alors nous avons la force à notre disposition –pas pour déposséder les Arabes du Néguev et les transférer mais pour garantir notre propre droit à nous installer dans ses lieux».
            La politique israélienne, consistant à judaïser le Néguev, s’expliquait par la volonté de modifier la majorité juive dans certaines régions et sous prétexte de regrouper les Bédouins tout en brisant la continuité géographique des villages. En appliquant un plan de sédentarisation forcée, Israël les a regroupés dans deux nouveaux villages, Tel Sheva en 1969 et Rahat en 1972, qui devenaient le lieu idéal pour une main d’œuvre à bas prix, sans concertation avec les communautés bédouines.
Rahat village bédouin

            Ceux des Bédouins, qui vivaient d’agriculture et d’élevage au Néguev, ont été contraints de devenir des travailleurs salariés avec l’objectif masqué de supprimer leur lien à la terre. L’eau est devenue un moyen de pression. Au Néguev, les autorités ont tendance à interdire la construction d’infrastructures pour l’eau, l’électricité, les routes, les services de santé et les écoles avec à la clef une augmentation des taux de pauvreté et de chômage dans les villages bédouins qui, pour certains, ont été exclus des statistiques du gouvernement.
Pisteur bédouin

            C’est ainsi que la communauté bédouine, qui fournit les meilleurs éclaireurs à Tsahal, est l’une des plus pauvres d’Israël, qu’elle souffre du plus haut taux de chômage de 60% à comparer aux 5% de l’État d’Israël. Elle dispose de la moitié du revenu mensuel national. À Rahat, la principale ville bédouine reconnue, le revenu mensuel moyen d'une famille est égal à 38 % du revenu moyen d'une famille juive. Il est donc normal que certaines régions deviennent des poudrières.           
            Mais ce conflit qui vient d’exploser tient à la volonté du gouvernement de peupler le Néguev. C’était le rêve du fondateur de l’État, Ben Gourion, qui avait d’ailleurs décidé de s’installer au Kibboutz  Sde Boker pour donner l’exemple. Certains y voient aussi les prémisses d’une éventuelle réinstallation d’habitants de certaines implantations évacuées de Cisjordanie, si un accord négocié intervenait avec les Palestiniens. L’État-Major et plusieurs bases ont déménagé de Tel-Aviv pour s’installer en plein Néguev. Tsahal a décidé de bouleverser le Néguev en construisant une ligne de chemin de fer, en créant une nouvelle ville, Ir Habahadim, avec l’arrivée de milliers de soldats. 
Ir Habahadim

          La ville sera verte, conçue dans un environnement exploitant uniquement l’énergie solaire avec tri des ordures, mise en valeur des toitures, protection des nappes phréatiques et recyclage sans oublier les supermarchés, les centres commerciaux, une gare de train et d’autobus, un centre culturel et même une piste cyclable depuis Beersheba. Un nouveau campus académique accueillera toutes les écoles militaires du pays.
- Ce type d'animal n'existe pas  - Oui il existe, au 21° siècle on peut changer l'ADN

            Ce projet presque pharaonique entraîne une nouvelle perception du Néguev jusqu’alors abandonné aux Bédouins et aux nomades. C’est ainsi que le Plan Prawer, discuté à la Knesset en janvier 2013, a mis le feu aux poudres. Il avait été conçu pour résoudre le problème de villages bédouins non reconnus dans le Néguev et pour mettre fin aux revendications territoriales, en échange d'une compensation. L’occupant de la propriété devait accepter le compromis offert, faute de quoi la terre serait enregistrée comme appartenant à l’État d’Israël.  Dans les circonstances actuelles, le gouvernement argue en effet qu’il ne peut pas fournir de services gouvernementaux, depuis les infrastructures jusqu’à l’éducation nationale.
Solidarité des Arabes de Jaffa avec les Bédouins

            Mais cette petite minorité silencieuse a décidé de faire parler d’elle. Des milliers de manifestants bédouins se sont alors élevés contre la nouvelle réglementation qui devait leur être appliquée et limiter leurs revendications territoriales dans le Néguev. Des Bédouins ont été arrêtés, des policiers ont été tués ou blessés après des heurts violents. Les hommes politiques arabes ont pris le train en marche avec maladresse. Mais les autorités israéliennes s’inquiètent car durant les manifestations, dans les villes mixtes arabo-juives de Haïfa et de Jaffa, et dans les villes arabes d’Israël Taybé, Tira et Qalansawe, de nombreux jeunes bédouins, jusqu’alors fidèles à Israël, ont brandi des drapeaux palestiniens. Le risque de voir les Bédouins rejoindre les Palestiniens est donc grand.  Des Arabes israéliens ont proclamé la grève après la destruction de maisons bédouines. Les commerces et les écoles ont été fermés dans tout le pays après les violences mortelles à Um al-Hiran.


            Face à ces manifestions d’une ampleur imprévue, relayées par les Arabes palestiniens, le gouvernement israélien tente de calmer le jeu car ce n’est pas le moment de se mettre à dos une communauté jusqu’alors silencieuse qui collabore avec l’État d’Israël et qui risque de faire jonction avec les Bédouins du Sinaï entièrement aux ordres d’Al-Qaeda et de Daesh.



5 commentaires:

Marianne ARNAUD a dit…

Il leur manque un Frantz Fanon, à vos Bédouins, plus un Jean-Paul Sartre à Saint-Germains-des-Prés et leur destin serait tout autre !

Maya NAHUM a dit…

Merci pour cet article remarquable. Qui m'éclaire. C'est folie de se mettre a dos cette population!!
Cordialmt
MN

Lucien KRIEF a dit…

Ils sont habitués à vivre dans des habitations précaires c'est leur culture qu'on les laisse.Le Neguev est grand il y a de la place pour tout le monde Ce n'est pas intelligent de se les mettre à dos.Surtout que les arabes israéliens et les autres vont sauter sur l'occasion pour manifester contre Israël.Alors on fait gaffe et on compose.

Sarah Gabbai a dit…

Une fois de plus, l'aveuglement des autorités israéliennes risque d'enflammer pour de bon une population qui mérite toute leur solidarité, pour ses services rendus et sa fidélité au pays. Cette incapacité de comprendre et d'accepter les us et coutumes d'autrui date depuis la création de l'Etat, malheureux que 70 ans après, nous en sommes encore là...Triste réalité.

Anonyme a dit…

Tout cela est bien regrettable
Il faut laisser cette population loyale vivre comme Elie l'entend