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mardi 3 janvier 2017

Daesh cible sa stratégie sur la Jordanie



DAESH CIBLE SA STRATÉGIE SUR LA JORDANIE

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps 


Château de Karak
            
          Al-Karak est une ville de Jordanie située à quelques kilomètres à l'est de la Mer Morte, à 120 km au sud d’Amman, et sur le territoire de laquelle a été édifié un célèbre château fort croisé au XIIème siècle, le Kerak de Moab. Une attaque contre les forces de police le 18 décembre 2016 avait fait huit morts, sept policiers et une touriste canadienne ; les quatre assaillants avaient été éliminés.





L'armée à l'assaut de Karak

            Il a fallu un assaut des unités spéciales pour déloger le commando qui s’était réfugié autour du château des croisés. Les assaillants, qui se revendiquaient de Daesh, ont pour la troisième fois en six mois attaqué les forces de sécurité du royaume hachémite. Un important arsenal de guerre a été trouvé par les forces de sécurité dans la maison où l’attentat avait été préparé, dont cinq ou six ceintures d’explosif, des bombes, des fusils d'assaut et leurs munitions.
            Ce château n'a pas été choisi au hasard. Les terroristes ont ciblé ce symbole touristique pour nuire à l'image de la Jordanie, dernier pays encore stable de la région, pro-occidental, qui dispose d’un appareil sécuritaire performant. Le pays héberge beaucoup de musulmans extrémistes, dont des milliers de djihadistes revenus de Syrie et d'Irak. Daesh n’a pas pardonné à la Jordanie d’avoir fait partie de la coalition internationale.
            L’attaque de Karak, la plus sanglante en Jordanie de ces dernières années, a mis en évidence la vulnérabilité du pays et atteste d’une montée du militantisme islamique dans le royaume. Une force de sécurité conjointe du PSD (Département de sécurité publique) et du Département de la gendarmerie a poursuivi les hommes armés jusqu’au château pour ensuite les éliminer. Les quatre terroristes jordaniens, âgés de 28 à 34 ans, provenaient de la ville d'Al-Qasr, à 20 km au nord de Karak, et d'Al-Salt à l’ouest d’Amman. 

            Daesh a revendiqué la responsabilité de l’attaque dans un communiqué publié sur son site Web. Il a annoncé que «quatre soldats du Califat, armés de mitrailleuses et de grenades à main ont effectué les attaques, tuant dix apostats». Il a précisé que les quatre combattants ont été engagés dans des «affrontements violents qui ont duré plusieurs heures avant d’être tués par les forces jordaniennes».
            L’attaque avait été soigneusement préparée. Les membres du groupe terroriste avaient loué un appartement dans la ville de Qatranah, à 30 km nord-est de Karak, dès le mois de novembre 2016, en racontant qu'ils envisageaient d'ouvrir un café sur la route du désert. Les djihadistes s’étaient organisés pour y préparer des ceintures et des bombes explosives afin de commettre d’autres attentats dans plusieurs ville jordaniennes, pendant les fêtes du Nouvel An. 
Le roi Abdallah avec le roi de Belgique

          Le roi Abdallah II a condamné ces attaques terroristes et promis que l'agression «n’affectera pas la sécurité et la stabilité de la Jordanie. Les criminels ne seront pas en mesure de miner le pays». Le roi a assuré ses citoyens «qu’il réagirait avec une poigne de fer à des agressions ou des tentatives de manipulation de la sécurité et de la stabilité de son peuple».
Muath al-Kasabeh

            Les terroristes ont choisi la ville de Karak car le château médiéval est une attraction touristique populaire. Ils ont montré ainsi leur intention de frapper l'industrie du tourisme de la Jordanie. La ville porte un autre symbole puisque le pilote de la Royal Air Force, Muath al-Kasabeh, y est né. À la suite de la chute de son avion près de la ville de Raqqa, en décembre 2014, il avait été capturé par l'État islamique et brûlé vif. Les représailles avaient alors été très violentes avec 56 attaques aériennes jordaniennes en trois jours. La Jordanie avait par ailleurs immédiatement décidé d’exécuter les terroristes Sajida al-Rishawi et Ziad al-Karbouli qui avaient été condamnés à mort. Al-Rishawi et son mari avaient été impliqués dans la planification d'une série d'attaques contre des hôtels d’Amman à la fin de 2005, faisant soixante morts. Al-Rishawi avait survécu parce que sa ceinture de suicide n'avait pas explosé.
Camp de Syriens en Jordanie

            Le choix de la Jordanie n’est pas fortuit. Les terroristes avaient cinq raisons de lui en vouloir. Elle avait rejoint la coalition internationale qui luttait contre Daesh. La situation économique du pays est désastreuse avec un chômage à 15% qui touche principalement les jeunes. 25% des Jordaniens vivent en dessous du seuil de pauvreté. Malgré l'aide internationale, le budget du pays souffre des charges occasionnées par la prise en charge de 1,4 million de réfugiés syriens. Les racines de Daesh viennent de la tradition djihadiste de la Jordanie puisque le bras armé irakien d’Al-Qaeda, qui a donné naissance à Daesh, avait été créé par le jordanien Abou Moussab al-Zarqaoui. Enfin plus de 2.000 citoyens jordaniens se battent aux côtés de Daesh. Le groupe islamique dispose de plusieurs ramifications dans le Royaume après le retour de nombreux djihadistes. De nombreux attentats ont touché la Jordanie sans que cela ne fasse la «une» des media.
Abou Moussab al-Zarqaoui

            Le 9 novembre 2015, le capitaine de police Anwar Abu Zaid avait tué deux agents américains de sécurité, un agent de sécurité sud-africain, et deux Jordaniens au Centre international de formation policière près d'Amman. Les forces de sécurité jordaniennes ont abattu Zaid qui travaillait comme formateur au centre. Il avait été qualifié par Daesh de «martyr isolé des Chevaliers du califat».
            Le 6 juin 2016, cinq agents de sécurité jordaniens ont été tués quand un homme armé avait ouvert le feu au bureau du service de renseignement au camp Baqaa des réfugiés palestiniens. Le choc de l’attaque, lancée au premier jour de Ramadan, avait secoué la Jordanie. La cour de sûreté de l'État avait condamné Mahmoud Masharfeh à mort par pendaison pour son acte terroriste.

            Le 27 juin 2016, un kamikaze avait tué sept soldats jordaniens et blessé 13 autres à la frontière syrienne, à partir du camp de réfugiés syriens de fortune érigé près de Rukban dans le nord de la Jordanie. Il était ensuite entré en territoire jordanien à travers un check-point utilisé pour les livraisons d'aide humanitaire et s’était fait exploser alors qu'il atteignait un poste militaire. Daesh avait revendiqué la responsabilité de l'attaque à travers l'agence de nouvelles Amaq.
            Le 4 novembre 2016, trois formateurs militaires américains ont été tués lorsque leur voiture avait été visée par un membre de l'armée jordanienne à la porte d’une base aérienne au sud du pays.
            Jusqu’à présent le roi Abdallah II de Jordanie a réussi à maintenir le calme et la stabilité dans son pays bien qu’il se trouve aux frontières d'Israël, de la Syrie, de l'Irak et de l'Arabie Saoudite. La Jordanie, considérée comme une alliée de l'Occident, est profondément impliquée dans la stratégie internationale des États-Unis pour contrer l'État islamique. Cependant l’attaque de Karak a mis en évidence la vulnérabilité du royaume malgré les mesures anti-terroristes et une montée évidente du militantisme islamique. Daesh subissant des revers en Syrie et en Irak, ses combattants n’ont pas d’autre choix que de refluer vers la Jordanie.
Clôture avec la Jordanie au nord d'Eilat


            Mais des répercussions sont prévisibles en Israël. Jusqu’à présent le royaume servait de zone tampon pour empêcher les terroristes d’Irak de déborder sur Israël qui est contraint maintenant de suivre de près l’évolution de la situation en Jordanie. Il n’est pas impossible que Daesh cherche ainsi à impliquer l’État juif sans sa stratégie. Mais Israël avait anticipé ces craintes puisqu’il avait décidé de construire une barrière de sécurité à sa frontière avec la Jordanie. Il reste cependant confiant car il est convaincu que les forces de sécurité jordaniennes sont bien formées et bien équipées, ce qui leur donne les moyens de résister aux terroristes. En dernier ressort et face à un scénario extrême, la Jordanie peut compter sur une assistance américaine et israélienne car elle partage avec eux un intérêt commun dans la lutte contre l'extrémisme.

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