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mardi 1 mai 2012

LES INTELLECTUELS ET LA POLITIQUE


LES  INTELLECTUELS  ET  LA POLITIQUE

Par Jacques BENILLOUCHE
       
        L’intervention des intellectuels dans la campagne électorale semble moins intense dans cette élection présidentielle bien que leur interférence avec la politique ne soit pas un fait nouveau. On avait l’habitude de les croiser aux côtés des candidats qui voulaient donner du sérieux ou une touche culturelle à leur personnage. Ils n’apposent plus leurs signatures au bas de pétitions et de manifestes et désertent les studios de télévision. Ils semblent avoir disparu des médias comme s’ils gênaient ou que leur engagement politique n’était plus d’actualité.

Affaire Dreyfus
Emile Zola
  
La notion d’intellectuel a pris son essor en France avec l’affaire Dreyfus, en 1898. Cette affaire à réactualisé l'expression en raison des nouveaux moyens d’expression qui ont vu le jour avec les manifestes collectifs, les ligues de militants et les médias modernes. Était alors qualifiée d’intellectuelle toute personne qui s’adonnait aux activités de l’esprit, incluant de fait les arts, les sciences, la littérature et la philosophie.
Aujourd’hui l’adjectif a évolué et il englobe à présent les hommes politiques. Les gens de droite récusent souvent cette appellation car, statistiquement, on trouve parmi eux peu de hauts diplômés des universités et le terme d’intellectuel lui-même les dérange. Pierre Desproges plaisantait déjà à ce sujet : «tout me force à constater que l’intelligence est une qualité de gauche».
Alors à droite ils préfèrent se dire militant ou écrivain nationaliste. Le cas de Robert Brasillach, fusillé en France pour faits de collaboration, est significatif de quelqu’un qui se targuait d’être un auteur engagé avant d’être intellectuel. Alain Soral qui est passé du parti communiste au Front national tient en revanche à être considéré comme «un intellectuel français dissident» tant la classification le dérange.

Intellectuel de gauche


Ecrivains israéliens reçus par la ministre Christine Albanel

        Les intellectuels sont, depuis Zola, en majorité de gauche au point que certains voient dans l’expression «intellectuel de gauche» un pléonasme. Que ce soit en France ou en Israël, ils occupent le devant de la scène littéraire et souvent politique. Lors du Salon du Livre de Paris de mars 2008, qui avait honoré Israël, ils avaient enthousiasmé un auditoire subjugué par leurs mots et enchanté par la manipulation du verbe. A notre époque, la qualification d’intellectuel devient de plus en plus rattachée à un engagement politique.
Le philosophe communiste italien, Gramsci, a justifié «le rôle du pouvoir des idées dans l'évolution politique d'un pays». François Mitterrand, qui adorait les Lettres, a utilisé le pouvoir idéologique des intellectuels pour unifier et conquérir la gauche tandis que Jacques Chirac a toujours affiché un grand mépris pour le monde des idées et a aggravé le vide de la politique culturelle de droite. En Israël, les intellectuels constituent le socle de l’opposition en raison de la déroute des travaillistes et de l’atonie des centristes qui se cherchent encore.
        Nicolas Sarkozy, empêtré dans les problèmes économiques, ne semble pas faire de la culture sa priorité. Cependant il utilise les contacts à gauche de sa femme Carla pour s’attirer à lui quelques signatures chargées de rehausser le niveau culturel de son entourage.
Mais la spécificité française tend à  rattacher la notion d’intellectuel à celle de protestataire ou d’homme de pensée qui pèse à tout moment sur la vie politique au nom d’une éthique supérieure. Dans les régimes forts, les intellectuels, qui disposent d’une protection que leur confère leur statut médiatique, ont d’ailleurs tendance à se substituer à l’opposition pour faire entendre une voie dissonante.      

Vision idéologique

        Les intellectuels aiment à se qualifier de gauche car ils estiment que seule la gauche a une vision plus idéologique et plus théorique de la société. D’ailleurs le communisme a été fondé par de purs théoriciens qui se sont avérés incompétents dès qu’ils ont dû mettre en pratique les fruits de la divagation de leur esprit. Ils sont en revanche conscients de leur aura dont ils abusent souvent. En France, Jean-Paul Sartre, malgré toutes ses erreurs politiques et ses phantasmes, était plus connu que Raymond Aron, écrivain discret, et certainement plus convaincant que le philosophe Jean-François Revel. En Israël, les trois écrivains Amos Oz, A.B Yehoshua et  David Grossman, qualifiés de gauche et par certains de gauchistes,  ont été les vedettes des manifestations littéraires au Salon du Livre à Paris alors qu’aucun écrivain à droite n’avait émergé de l’intelligentsia israélienne.
        Certains mauvaises langues attribuent l’engagement politique des intellectuels de gauche à une technique commerciale sournoise chargée de faire parler d’eux puisqu’il est difficile de se faire publier si l’on est inconnu du grand public. L’objectif avoué est alors de mobiliser la une des médias pour avoir une chance d’acquérir une place permanente dans les esprits puis d’occuper celle des présentoirs des librairies. Alors par le jeu des colloques, des articles de journaux et des apparitions télévisuelles, les auteurs cherchent à obtenir une légitimité auprès de leurs pairs, même si les thèmes de leurs livres sont l’antithèse de leurs articles politiques.

Stylo bleu et noir
Amos Oz

        Amos Oz avait expliqué la problématique dans son style imagé ; il dispose de deux stylos, bleu et noir, l’un pour les romans et l’autre pour les articles de presse qui l’aident à promouvoir ses romans. Alors, comme il tient à ce qu’on parle de lui afin de diffuser ses œuvres, il se voit contraint d’attirer l’attention en choquant systématiquement par des prises de position politiques iconoclastes, par des scandales et par des coups médiatiques.
D’ailleurs André Breton avait souligné «Dites-vous bien que la littérature est un des plus tristes chemins qui mènent à tout.» Cela n’enlève rien aux qualités de certains écrivains qui ont seulement compris qu’ils devaient provoquer en permanence les médias, et surtout les médias étrangers pour faire parler d’eux. Amos Oz n’avait pas fait dans la dentelle en comparant «l'ensemble des colons israéliens à des militants du Hezbollah». Ces propos avaient été relayés jusqu’à l’Etranger à la grande joie de ses éditeurs.
       
Impression de convaincre
Bernard-Henri Lévy avec Ségolène Royal

        Cependant, les intellectuels finissent par avoir du pouvoir parce qu’ils donnent l’impression de convaincre. Ils ont en effet acquis une autorité morale, très souvent avec la complicité des médias. Bernard-Henry Lévy, porte-parole de la gauche, est toujours écouté quand il parle de la Yougoslavie ou du Pakistan, d’Israël ou de la Palestine, au point de figurer en permanence dans la liste des futurs ministrables. Mais on ne l’a pas entendu durant cette campagne depuis son épopée libyenne. Il est accusé par ses amis d’avoir eu une attitude ambiguë en cherchant à se rapprocher de Nicolas Sarkozy et à grandir son image de Nicolas Sarkozy dans le monde. Alors qu’il était collé aux bas de Ségolène Royal en 2007, il n’apparait même pas aux meetings de François Hollande.
Le paradoxe tient au fait que le pouvoir des intellectuels n’est plus seulement dans la pensée mais dans les propositions de solutions radicales qu’il prône. Bourdieu affirmait que «les intellectuels cessent d’exister dès qu’il neige sur l’écran de télévision». De là à devenir des démagogues, il n’y a qu’un pas que beaucoup franchissent.
David Remez
        En Israël, les gens de gauche ont été les inspirateurs de l’Etat d’Israël. David Remez, l’un des rédacteurs de la déclaration d’indépendance et théoricien de la Histadrout, écrivait des poèmes et développait l’hébreu moderne avant de devenir ministre de l’éducation. Berl Katznelson, perdu au fond d’un vieux fauteuil élimé, dans l’une des deux pièces aux étagères couvertes de livres où il vivait au cœur de Tel-Aviv, était l’inspirateur de Golda Meïr et de David Ben Gourion après avoir dirigé une librairie fortement fréquentée. 
        Les intellectuels de droite ne dédaignent pas le silence et la discrétion. Ils sont moins enclins à s’engager politiquement. Denis Tillinac, fervent partisan de Chirac, avait donné son sentiment : «la politique ne m’intéresse pas. Je suis un écrivain. Mais la littérature n’intéresse plus les gens».  Jean d’Ormesson, lui, refuse de faire de la politique car «il ne peut être de gauche à cause de la complaisance de la gauche à l’égard du totalitarisme et de la pensée totalitaire». Alors ils ont souvent tendance à refuser de s’afficher en public, certains diront de se ridiculiser, et ils ne prennent la parole que rarement. Ils cherchent plutôt à exprimer, uniquement par leurs mots et leurs textes, les révoltes et les soucis de leurs lecteurs.
Jean d'Ormesson
        Quelle que soit l’étiquette qui leur est accolée, les intellectuels ont surtout compris que s’ils ne se font pas connaître médiatiquement alors, malgré leur talent, ils seront moins lus sauf quand, à l’instar de Samuel Agnon, prix Nobel de littérature, ou de l’académicien Max Gallo, leur production littéraire est tellement abondante qu’ils deviennent des écrivains reconnus et très recherchés.

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