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mardi 29 novembre 2016

Rupture consommée entre l'Egypte et l'Arabie



RUPTURE CONSOMMÉE ENTRE L'ÉGYPTE ET L'ARABIE

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps


Le Roi Salmane d'Arabie et Al-Sissi

La crise entre l’Égypte et l’Arabie saoudite ne fait pas les manchettes des media et pourtant elle risque de changer la donne géopolitique au Moyen-Orient. Elle se fait discrète, comme si les protagonistes étaient gênés d'avoir à s’expliquer sur les raisons d’une rupture consommée. La décision de l’Arabie saoudite de ne plus fournir de produits pétroliers, sous forme de dons ou de tarifs préférentiels, met en danger l’économie du président Al-Sissi. Elle intervient sur fond de divergences sérieuses au sujet du conflit de Syrie et du Yémen.



L’Arabie saoudite exerce une pression militaire et diplomatique forte sur la Syrie pour forcer Bachar Al-Assad à quitter le pouvoir après une période de transition durant laquelle les opposants syriens pourraient s’entendre sur un successeur consensuel. En revanche, l’Égypte ne fait plus mystère de sa volonté de sauver à tout prix le régime syrien et elle l’a démontré en votant au Conseil de Sécurité de l’ONU en faveur de la contre-proposition de résolution russe sur Alep, contre l’avis des États-Unis et des pays du Golfe. L’ambassadeur saoudien à l’Onu n’a pas manqué à cette occasion de fustiger l’attitude égyptienne : «il est pénible que les Sénégalais et les Malaisiens aient des positions plus proches du consensus arabe, que celle du représentant arabe au Conseil de sécurité, l'Égypte».
Ambassadeur d'Arabie à l'ONU

Le président Sissi a défendu sa position en utilisant l’alibi de la souveraineté de chaque pays : «Nous tenons beaucoup à nos relations historiques avec nos frères dans le Golfe mais dans le cadre du respect mutuel de la souveraineté des pays. Si l'on veut une véritable souveraineté dans les prises de décision, il faut savoir que les nations qui sont souveraines dans leurs décisions souffrent, elles souffrent beaucoup. Ceux qui veulent exercer leur libre-arbitre doivent endurer».
Ce vote égyptien est à rapprocher de la stratégie d’abandon d’Al-Sissi par Barack Obama qui a permis une entrée en force des Russes au Moyen-Orient, et en Égypte en particulier. Les États-Unis ont été à l’origine de la recomposition du paysage politique dans la région qui a entraîné une rupture entre ses deux principaux alliés historiques. Alors, les Russes n’ont pas perdu de temps pour s’engouffrer dans la brèche taillée par les Américains.
Paras russes

Ainsi, sous prétexte de lutte antiterroriste, des manœuvres menées par des unités de parachutistes russes et égyptiens ont eu lieu du 15 octobre au 26 octobre 2016. Au cours des manœuvres, les militaires russes et égyptiens se sont entraînés à localiser et à éliminer les formations militaires illégales dans un environnement désertique. Les avions des forces aérospatiales russes, en commun avec l'unité aéroportée, ont transporté sur le continent africain des véhicules de combat BMD-2, des véhicules blindés BTR-D, ainsi qu'un équipement spécial sur roues avec une haute capacité de franchissement. Plus de 100 tonnes de matériel militaire et spécialisé ont été transportées à partir de six aérodromes ; plus de 15 hélicoptères et avions à usage multiple, ainsi que dix unités de combat parachutées et plus de 500 militaires égyptiens et russes ont participé à l’exercice. 

Nous sommes donc revenus à l’époque où des «conseillers militaires russes» intervenaient en Afrique. Après la Guerre Froide, la Russie ne s’y était plus impliquée militairement sauf pour y vendre ses armes. Moscou a recommencé à s’intéresser au continent africain sur un plan essentiellement économique. Les relations entre l’Égypte, qui bénéficie d’une aide militaire américaine, et la Russie sont globalement bonnes. Cependant les deux pays ont connu quelques tensions commerciales lorsque Moscou avait gelé les importations de citrons égyptiens par représailles au refus d’une cargaison de blé russe par les autorités sanitaires égyptiennes.
Les Houthis avec leurs missiles

Mais un autre sujet empoisonne les relations entre Saoudiens et Égyptiens. Al-Sissi a refusé de mettre ses troupes à la disposition de la coalition qui combat les Houthis pro iraniens au Yémen. Les Saoudiens, qui ont soutenu le régime d’Al-Sissi à coup de milliards de dollars, n’ont pas toléré l’ingratitude des Égyptiens qui les ont lâchés au moment crucial où ils avaient le plus besoin d’eux dans la guerre d'influence contre l'Iran. 
L’Égypte a pris de gros risques, compte tenu de la froideur de ses relations avec les États-Unis. L’arrêt de l’aide saoudienne risque d’aggraver la crise économique et la stabilité sociale. L’Arabie ne pourra pas pardonner à Al-Sissi d’avoir rejoint ses détracteurs et surtout d’avoir envisagé une normalisation des relations avec l’Iran. Par ailleurs, l’Arabie est très choquée par l'attitude égyptienne envers la Russie. Cette rupture modifiera les futures alliances dans la région.  
Mais Israël ne peut pas abandonner son allié égyptien dont les relations n’ont subi aucune détérioration. Alors il envisage de venir à son secours économique grâce à une série de projets économiques à grande échelle. Selon Ynet, des discussions communes sur les projets reflètent non seulement un rapprochement entre les deux pays, mais aussi un besoin urgent d'amélioration de l'infrastructure en Égypte, compte tenu de la grave crise économique qui menace la stabilité politique du pays. L’Égypte envisage des projets avec Israël pour la désalinisation de l'eau de mer afin de compenser les problèmes du niveau d'eau dans le Nil avec un risque de pénurie d'eau pour la consommation ou l'irrigation. Israël se prépare également à fournir une assistance dans les domaines de l'énergie solaire, la production d'électricité, l'agriculture, l'irrigation, le gaz mais aussi dans le secteur du tourisme. Israël tient absolument à sauvegarder la stabilité du régime égyptien car il s’agit d’une protection contre la montée des Frères musulmans dans les rues avec, à la clef, un risque d’ébranler le régime du président Abdel Fatah al-Sissi.

La stratégie sécuritaire d’Israël passe par une alliance avec l’Égypte, la Jordanie et l’Arabie saoudite. La rupture entre les deux principaux États arabes sunnites risque donc de modifier ses plans. Le comble serait qu’Israël soit à l’initiative d’une médiation entre les deux pays arabes pour restaurer des relations rompues.  

1 commentaire:

David a dit…

La dernière phrase de votre article est succulente, M. Benillouche : Israël médiateur entre deux puissances arabes, on croit rêver !