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samedi 18 avril 2015

LES NAZIS EN TUNISIE À TRAVERS LE JOURNAL D’UN SS



LES NAZIS EN TUNISIE À TRAVERS LE JOURNAL D’UN SS

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps




Colonel Walter Rauff

          En cette période de commémoration de la Shoah, il est judicieux de soulever l’histoire des exactions, certes limitées, subies par les Juifs tunisiens durant six mois de novembre 1942 au 7 mai 1943. Mais il est déplacé d'assimiler ces faits à la Shoah car l’extermination systématique des Juifs en Tunisie par l'Allemagne nazie était peut-être planifiée mais n'a pas été effective. C’est à se demander si, par mimétisme, certains Juifs tunisiens ne cherchent pas à dramatiser cet épisode pathétique par une sorte de jalousie morbide vis-à-vis des Ashkénazes. C’est un contre-sens de mettre sur un même plan la Shoah des pays d'Europe et de l'Est avec tout autre événement.



Camion à gaz nazi

          Certes la Tunisie et la Libye ont été les deux seuls pays d’Afrique du Nord à avoir subi la présence nazie mais la «solution finale» n’a jamais eu le moindre début de réalisation et l’horreur nazie n’a pas eu le temps d’atteindre ces deux pays. Le port de l’étoile jaune n’a pas été généralisé. Quelques camions d'extermination avaient été débarqués mais leur fonctionnement n'a jamais été mis en application. Comparer ce qui n’est pas comparable est donc une atteinte à la mémoire des six millions de Juifs assassinés dans les camps d’extermination. Les degrés d’horreur ne peuvent pas être mis en balance. Les 4.000 Juifs tunisiens réquisitionnés par l’armée allemande n’ont pas été des victimes dans les camps d’extermination.
          L’armée nazie a occupé la Tunisie après avoir importé avec elle toutes ses méthodes coercitives et ses experts pour la construction de fours crématoires qui devaient fonctionner comme en Europe ; mais les alliés arrivés fort heureusement à temps ont réduit à néant ce projet d’extermination. En revanche, les menaces, le racket, la prise d’otages et les intimidations étaient devenus les attributs de la domination quotidienne. Les Juifs constituaient la cible principale des exactions parce qu’ils symbolisaient le Peuple Élu et ils devaient donc en assumer les conséquences.
Arrivée des nazis dans la joie arabe

          Les dirigeants communautaires avaient reçu l’ordre non négociable de fournir une main d’œuvre gratuite à une armée d’occupation agissant en toute impunité. Les Maltais, les Italiens et les Arabes bénéficiaient d’une totale immunité au point de se glorifier dans l’insulte vis-à-vis des vieux otages juifs apeurés, encadrés par des soldats allemands. Mais parce que les exigences allemandes avaient été respectées, les otages avaient été épargnés.
          La population juive de Tunisie avait reçu le choc de l’occupation comme une punition divine. Les armées allemandes, avec l’aide d’officiers S.S peu scrupuleux cherchant à s’enrichir au prétexte de la guerre, avaient exigé le financement de leur occupation par la seule population juive. Une minorité de civils juifs devaient ainsi payer les frais de séjour et les dépenses personnelles d’invités non sollicités. Les dirigeants de la communauté juive, réunis à l’école de l’Alliance israélite, s’étaient vus sommés de verser des rançons de plus en plus élevées. Le montant des amendes collectives disproportionnées augmentait à chaque versement. Le colonel S.S Walter Rauff, qui avait fait ses premières armes dans le combat contre le Ghetto de Varsovie, avait exigé des responsables juifs qu’ils équipent en pelles, pioches et tenues de travail deux mille jeunes juifs pour être mobilisés dans les chantiers militaires.
Départ des travailleurs forcés

          Les responsables de la communauté de l’époque, dénués de charisme et d’autorité, ne disposaient d’aucune liste nominative. Aucun recensement communautaire n’avait été établi et ils ne pouvaient compter que sur la persuasion individuelle pour les sortir du mauvais pas. Peu de jeunes s’étaient portés volontaires pour manier la pelle et la pioche ; le quota de jeunes imposé par les nazis n’avait pas pu être atteint. La solidarité juive restait un vain mot de littérature puisque chaque foyer défendait d’abord ses propres intérêts quand il n’essayait pas de soudoyer les responsables. Les dirigeants juifs espéraient inciter la majorité des jeunes, oisifs depuis leur exclusion des lycées français en raison des lois pétainistes, à se présenter en leur proposant un salaire attractif. Mais malgré leur désœuvrement, les jeunes ne se faisaient pas à l’idée d’un travail forcé peu motivant et ils n’hésitèrent pas à user de tous les stratagèmes, corruption comprise, pour se soustraire à ce volontariat en mettant en danger la vie des notables emprisonnés.
          Les femmes acceptaient en revanche de se défaire de ce qu’elles considéraient comme une assurance-vie, un pactole pour la retraite ou tout simplement une réserve pour les mauvais moments. Elles abandonnaient, au titre de la rançon, le petit bijou en or fêtant la naissance de chaque enfant dont la valeur dépendait du capital amour investi par le couple. Pour concrétiser les exigences allemandes, les bagues, les colliers et tous les bijoux en or étaient collectés pour répondre au chantage des représailles collectives. Ces rançons calmaient la mauvaise humeur des Allemands et protégeaient tous les jeunes garçons réquisitionnés pour servir de travailleurs esclaves.
Préparation des Juifs pour le départ vers les camps de travail

          Pendant que les hommes de 18 à 45 ans étaient envoyés dans les ports pour aménager les quais, à la campagne pour consolider les bâtisses militaires, dans les aéroports pour colmater les trous des pistes d’atterrissage endommagés par les bombes et en périphérie pour creuser et bâtir des tranchées et des ouvrages défensifs, les rabbins se mobilisaient pour invoquer la clémence divine qui refusait de se manifester. Mais jamais les enfants, les femmes et les vieillards n’ont été envoyés dans ces camps comme à l’occasion de la rafle de Paris effectuée avec l’aide des policiers français. Les jeunes, travaillaient dur à quelques kilomètres de leurs familles mais ils bénéficiaient de réseaux organisés pour leur venir en aide matérielle. C’est pourquoi les chiffres officiels, extrêmement faibles, dénombrent la mort de trente-neuf travailleurs juifs. Aucun travailleur n’a été déporté hors de Tunisie et ils ont retrouvé leur liberté à l'arrivée des alliés. Les seuls Tunisiens qui ont fini dans un camp de concentration en Europe ont été ceux qui vivaient en France, à l'instar du champion du monde de boxe Young Pérez.

          Qualifier le drame tunisien de Shoah minimise les souffrances des Juifs qui ont subi le nazisme en Europe. Il n'y a pas eu de Shoah en Tunisie. Certes les autorités tunisiennes, le Bey en particulier, n’ont pas pu s’opposer aux mesures discriminatoires édictées en France par le régime de Vichy. Le décret beylical signé par Ahmed II Bey le 30 novembre 1940 exclue les Juifs de la fonction publique et des professions touchant à la presse, à la radio, au théâtre et au cinéma.
Walter Rauff au centre

          Le général Erwin Rommel, battu à la bataille d’Al-Alamein, avait demandé l’occupation de la Tunisie pour protéger la retraite allemande face aux troupes alliées débarquées en Tunisie et en Algérie. On commence à en savoir plus sur cette péripétie tunisienne avec la découverte à Londres du journal personnel détaillé tenu par le colonel Walter Rauff, le créateur des «chambres à gaz mobiles». Il a décrit les différents plans qu’ils avaient conçus en Tunisie pour utiliser les Juifs comme travailleurs et comme boucliers humains face aux armées alliées : «3.000 Juifs seront recrutés par la force opérationnelle. L'arrivée des Juifs vers les lieux de travail et de leur surveillance devra être de la responsabilité de la Wehrmacht. Pour cela, j’ai mis en place un comité des Juifs qui va être responsable que ce processus se passe bien. Les premiers travailleurs seront prêts pour le travail le 7 décembre 1942. J’ai imposé de marquer avec une étoile jaune tous les Juifs dans les 24 camps de travail forcé à travers le pays. Le financement, les conditions matérielles d’hébergement et la nourriture se feront par les Juifs eux-mêmes, sans contrainte sur les autorités allemandes. J’ai annoncé que si les ordres n’étaient pas respectés il fallait s’attendre à des représailles sévères».

          Sur son journal, le colonel Rauff se plaignait de l’attitude des Juifs et des Français à l’égard des forces nazies : «L'atmosphère dans la ville est plus hostile que les jours précédents. Les Français et les Juifs se vantent ouvertement que dans un court laps de temps les forces ennemies sauront reconquérir la ville. L'atmosphère parmi les Juifs et les Français est heureuse et pleine d'espoir, contrairement aux Arabes, qui sont très stressés et déprimés». Il avait fait part à l’Etat-Major allemand qu’il manquait de logistique pour utiliser une partie des 110.000 Juifs tunisiens comme boucliers humains contre les forces alliées.  
          Le colonel Rauff décrit dans le détail un fait éludé concernant le comportement de la population arabe : «La communauté arabe est amicale envers les Allemands et est prête à les aider. Les Arabes qui nous ont accompagnés de l'aéroport à la ville ont été immédiatement libérés quand nous sommes arrivés. Ils ont reçu pour instructions de continuer leurs vieilles habitudes pour découvrir l'ambiance générale et nous envoyer les adresses des Juifs dont les maisons et les voitures devaient répondre à nos besoins. Le recrutement des Juifs pour le travail a eu un impact positif sur l'atmosphère dans le secteur arabe».
          La Tunisie a échappé de peu à l’expérimentation des chambres à gaz mobiles. L'arrivée des Alliés en Tunisie le 7 mai 1943 a heureusement contrecarré les projets nazis. Mais une certitude, la Shoah a été évitée de peu en Tunisie mais n'a pas eu lieu.

6 commentaires:

Emmanuel WEILL a dit…

Article très intéressant d'une page d'histoire méconnue!

Jacques BENILLOUCHE a dit…

Qu'est devenu Rauff ?

Rauff s’est échappé de Tunisie vers Milan, deux mois avant que la Tunisie ne soit libérée de l'occupation allemande, mais il a été rattrapé par les forces alliées. En Décembre 1946, il a réussi à s’échapper d'un camp de prisonniers de guerre et a été caché dans un monastère de Rome. Il a réussi à s’enfuir d'Italie, et en 1948, il a été enrôlé dans les services de renseignements syriens. Rauff a vécu à Damas pendant un an, avant de passer en Equateur et finalement de s’installer au Chili.

Les demandes d'extradition présentées par la République fédérale d'Allemagne en 1963 à la demande du Centre Simon Wiesenthal ont été rejetées par le Chili. Rauff mourut d'une mort naturelle à Santiago en 1984.

Marianne ARNAUD a dit…

Malgré la remarque qui m'a été faite ici même, stipulant que "la vérité historique appartient aux historiens et non aux journalistes", j'affirme que si les travaux des historiens n'étaient pas relayés par les journalistes - dont c'est le métier - pour en informer le public, ce dernier en ignorerait à peu près tout, comme c'est, hélas, trop souvent le cas quand la désinformation supplante l'information, dans les périodes troublées.
Je renouvelle donc mes remerciements à monsieur Benillouche, pour son excellent travail qui, article après article, consiste à traquer cette vérité qui, dit-on, "sort du puits".

Jacques BENILLOUCHE a dit…

Chère Marianne,

Je trouve qu’il est déplacé, comme l’a fait Véronique Allouche, d’opposer l’historien au journaliste avec un léger côté péjoratif laissant entendre que le journaliste n’est pas compétent dans ce domaine. Je pense qu’un journaliste a deux facettes.

En tant que journaliste d’opinion, il analyse et critique la politique en y apportant sa sensibilité avec une certaine dose d’engagement. C’est le cas de plusieurs de mes articles concernant la politique israélienne. A ce moment les articles sont contestables et critiquables.

En revanche, je refuse l’assertion que la «vérité historique appartient aux historiens et non aux journalistes». Un journaliste est comparable à un historien quand il se borne à rapporter des faits avérés en s’appuyant sur des documents historiques. Ils utilisent les mêmes outils. Le journaliste est surtout là pour rétablir la vérité.

Dans le cas du pape Pie XII, l’opinion publique a suivi en masse la condamnation de certains meneurs qui nous ont éloignés de la vérité.
Pour affirmer la vérité je me suis appuyé sur des déclarations officielles de grands personnages juifs et israéliens ce qui donne plus de poids à ma thèse. Le Grand Rabbin de Rome, le consul d’Israël à Milan, le Grand Rabbin de Jérusalem, un premier ministre israélien, un rabbin de New-York, le Grand Rabbin du Danemark, ne peuvent pas être suspectés de travestir la vérité. J’aurais pu rajouter d’autres déclarations dans le même sens. Un historien professionnel n’aurait rien fait de plus.

Dans le cadre de l’article sur la Tunisie, j’étais excédé par toutes ces réunions sur «la Shoah en Tunisie». Certains ont même organisé des colloquesJa à Yad Vachem pour donner plus de poids à leurs élucubrations. Alors il fallait que le journaliste se transforme en historien.

Véronique ALLOUCHE a dit…

@marianne Arnaud

Léon Poliakov puis Saul Friedlander, tous deux grands historiens notoires, ont appuyer la thèse de la passivité bienveillante du pape Pie XII.
Il a fallu attendre le Concile Vatican II sous le pape Jean XXIII pour que la phrase " les perfides juifs déicides" fut retirée des écrits chrétiens. Pourquoi Pie XII ne l'a-t-il pas fait, ne serait-ce qu'après 1945? Parce qu'il continuait à rester passif.
Benoît XVI lui-même refusa la béatification de Pie XII et aujourd'hui encore le pape François ouvre les archives du Vatican concernant cette époque. C'est dire si la béatification de ce pape reste contestée au sein-même de l'église.
C'est pourquoi je reste persuadée que le jugement de l'histoire, travail de longue haleine, doit rester aux historiens et non aux journalistes.
Quant à la désinformation, elle est du fait des journalistes qui n'ont pas besoin de périodes troublées pour opérer. Le plus souvent aucune vérification de l'information n'est faite, l'instantané dicte sa loi.
Cordialement
Véronique Allouche

Unknown a dit…

... À faire remarquer que les historiens puisent aux archives, et sont elles toutes découvertes ?, mais que les premiers " informateurs sur la guerre" sont déjà ceux qui ont vécu l'occupation nazie en Tunisie , et qui ont pu en témoigner ( mon père,à 19 ans , s'est engagé volontaire, a Bône , dans les forces françaises de De Lettre, j'ai un doute ! ) et ma mère et mes grands parents qui allaient se réfugier au grand cimetière du passage pur se protéger des bombes ... une casserole sur la tête!puis ce sont les grands reporters de guerre , les correspondants de guerre, les journalistes sur le terrain qui relaient le vécu et font connaître la Connaissance au "public" ... dont font partie les historiens , avant le
" Mal d'Archive " comme le disait jacques Derrida .